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Espérer pour tous ?

[Ateliers de la Foi du 18 janvier 2021.]


Jusqu’où va le salut qui nous est promis par Dieu ? Faut-il écrire « Espérer pour tous » avec ou sans point d’interrogation, voire même oser l’affirmation du salut pour tous ?


Au long des siècles, la conception dominante du Jugement dernier comporte trois issues possibles : le paradis, pour ceux qui sont en état de grâce ; l’enfer, c’est-à-dire une souffrance totale et éternelle, pour les coupables de péchés graves non repentis ; le purgatoire, une période plus ou moins longue de purification, pour les pécheurs pouvant bénéficier du pardon. Dans l’imaginaire collectif, paradis, purgatoire et enfer étaient comme des lieux bien définis, avec leurs caractéristiques propres, au point qu’on a pu parler d’une « topographie et d’une chronologie de l’au-delà ». Il a fallu arriver au 20e siècle pour comprendre que ce que nous attendons, ce ne sont pas des « choses » ou des « lieux », mais l’achèvement d’un mouvement qui doit nous conduire au sein de la Trinité. La réalité ultime de notre vie, c’est Dieu lui-même, en son Fils !


L’idée d’une damnation éternelle et définitive a été l’opinion dominante pendant des siècles. Pourtant, dès les premiers temps de l’Eglise, des penseurs et des mystiques ont rejeté cette conception et ont soutenu l’idée d’un salut universel, d’une victoire ultime contre l’enfer et d’une libération des damnés. Cette conception, appelée l’apocatastase, a été soutenue, à des degrés divers, par des Pères de l’Eglise, comme Origène, Grégoire de Nysse, Maxime le Confesseur, etc. Mais, jusqu’à présent, cette thèse n’a jamais été acceptée par l’Eglise. Plus tard, des précurseurs, comme François de Sales et Thérèse de l’Enfant Jésus, ont compris que la vie éternelle au sein de la communion trinitaire est offerte à tous, sans condition préalable.


Depuis le milieu du 20e siècle, il est devenu évident, pour la plupart des théologiens et des croyants, que l’on peut « espérer pour tous ». Espérer pour tous est le titre d’un livre de Hans Urs von Balthasar, un des plus grands théologiens du 20e siècle. Sa thèse peut se résumer en quelques mots : « On ne peut sans doute pas affirmer, comme une certitude, que tous les hommes seront sauvés, mais on peut, avec grande confiance, l’espérer : Espérer pour tous… ». Pour lui, rien dans les Ecritures et la Tradition ne permet d’affirmer avec certitude qu’un être humain soit damné pour l’éternité.


Enfin, les recherches de plusieurs théologiens contemporains aboutissent à présenter le salut universel non plus comme un objet d’espérance, mais comme une affirmation. Un remarquable article de Jean-Baptiste Lecuit, paru récemment dans la revue Recherches de Sciences Religieuses, y fait largement écho, notamment aux travaux d’un théologien orthodoxe américain, David Bentley Hart, auteur d’un livre intitulé : That All Shall Be Saved. Les arguments de ces théologiens sont principalement au nombre de quatre :


1. Il faut savoir interpréter les Écritures ; elles comportent de nombreux et importants passages de portée universaliste(1). Par contraste, les textes faisant allusion à l’enfer sont généralement fortement imagés et sont souvent inclus ou associés à des paraboles.


2. L’économie du salut, vue dans toute son ampleur et dans le mouvement général qu’elle dessine, est difficilement compatible avec l’idée d’une damnation éternelle. La perte d’un seul homme représente un échec dans la volonté universelle de salut de Dieu, et la persistance éternelle du mal.


3. L’être humain est fondamentalement social et relationnel. Par conséquent, la damnation d’une personne sera nécessairement vécue comme un drame par ses proches et, par extension progressive, par toute l’humanité. Comment la mère d’un damné – et avec elle l’ensemble de ses frères et sœurs en humanité – pourrait-elle jouir d’une parfaite béatitude si son fils, non seulement en est privé, mais souffre sans interruption ni fin du plus grand malheur que l’on puisse concevoir.


4. Enfin, il est impossible de considérer qu’un acte humain puisse être absolument et entièrement lucide et libre. La liberté humaine n’est jamais totale. Même s’il peut rejeter Dieu, l’homme peut-il le faire définitivement et en pleine connaissance de cause ? Par conséquent, si un acte n’est pas posé en pleine conscience et lucidité et donc en toute liberté, sa conséquence, la damnation, parce que totale et éternelle, serait disproportionnée et donc injuste. Comment, finalement pourrait-il y avoir un mal irrémédiable, même pour Dieu ?


En conclusion de son article, J.-B. Lecuit estime que l’on peut désormais, non seulement espérer pour tous, mais affirmer que cette espérance sera très vraisemblablement exaucée.

Renoncer pour de bon à la menace de l’enfer, c’est se donner la liberté d’agir, non plus par peur, mais par amour : c’est pour répondre à l’amour infini de mon Seigneur que je vais m’efforcer de lutter contre mon péché ; c’est par désir de me rétablir pleinement dans la communion de l’Eglise que je vais aller me confesser… Renoncer pour de bon à la menace de l’enfer, c’est aussi pouvoir mieux comprendre l’idée de purgatoire et de ne plus le voir comme le lieu d’un séjour plus ou moins long, mais comme le passage dans le feu de l’amour divin, capable de brûler toutes les traces du mal et de ne laisser subsister que l’or de l’amour.




(1) « … qui peut être sauvé ? – Ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu » (Lc 18,27). « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12, 32). « … par l’obéissance d’un seul, la multitude sera rendue juste » (Rm 5, 19). « … en Christ, tous recevront la vie » (1 Co 15, 22). « … Dieu, notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2, 4). « … tout réconcilier par lui et pour lui, sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix » (Col 1, 20). « … il est, lui, victime d’expiation pour nos péchés ; et pas seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier » (1 Jn 2, 2). Etc, etc.

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