Le P. Philippe B. a célébré les funérailles de Karolina B. décédée le 26 décembre dernier. Un peu auparavant il se trouvait à son chevet avec deux aumônières des Cliniques St-Luc à Woluwe. Voici l’homélie qu’il prononça lors de la célébration.
Il est des rencontres qui, dans le cours d’une existence, frappent le cœur et la mémoire. Lorsqu’en novembre dernier, nous nous sommes retrouvés avec Anna, Florence et sa maman, autour de Karolina dans sa chambre d’hôpital, elle attendait un soin, une transfusion de plaquettes. Soin qui n’arrivera jamais. Les médecins avaient convenu que la médecine ne pouvait plus rien pour Karolina. Elle était lucide et même si les discussions se faisaient dans les couloirs, elle savait ! Nous venions préparer une petite célébration, la messe et l’onction des malades. Karolina se taisait, puis par de courtes interventions, elle montrait sa profondeur et la gravité du moment. A un moment, la maman, Anna, puis Florence sortent de la chambre. Nous restons tous les deux.
Pour moi, ce fut une rencontre d’une rare intensité que nous avons rarement l’occasion de vivre dans nos vies professionnelles, ecclésiales et sociales…
Karolina, 19 ans, malade d’un neuroblastome(*) depuis l’âge de 5 ans, allait préparer ses funérailles. Un partage de vie a lieu : partage des douleurs, de son désir d’en finir, de son désir de vivre. Des mots simples, crus, directs.
On discute d’un choix d’Évangile pour la célébration des funérailles. Après quelques propositions, une évidence s’impose : Marc chapitre 2, le récit de la guérison du paralytique.
Elle découvre les porteurs. Karolina se rend compte que beaucoup la portent : maman, papa, Igor, son frère, les infirmières, les médecins, les aumôniers de Saint-Luc et beaucoup d’autres. Elle souhaite dire merci à ceux qui la portent : merci papa, merci maman, merci Igor, merci à tous les autres. Alors Karolina culpabilise, n’est-ce pas trop lourd, pour papa, pour maman, pour Igor. Est-ce que je ne suis pas un poids ? Est-ce que ma maladie empêche de croire ? Alors revient cette tension, mourir pour ne plus souffrir, vivre parce que la vie, c’est beau.
Puis après un moment de silence, Karolina se ravise. Elle reconnaît qu’elle porte aussi : elle porte son petit frère Igor. Elle porte aussi les gens qui l’entourent !
Une image lui vient, qui lui plait beaucoup. Voici que ces hommes ne peuvent pas entrer dans la maison, aussi ils découvrent le toit. Elle trouve dans cette image son rapport à Dieu. Cela n’est pas facile d’accéder à Dieu dans la souffrance de la maladie, aussi si on ne peut pas entrer par la porte où Dieu se trouve, on peut entrer par le toit. Oui, il faut de l’audace, c’est ce qu’elle veut exprimer dans son psaume (voir ci-contre).
Elle voit l’audace de ces porteurs, mais aussi leur tendresse. Elle veut dire merci pour ceux qui, lorsque la douleur était trop forte, l’ont consolée, caressée, apaisée.
À un moment, Karolina exprime un désir : « je veux aller au paradis », c’est la seule issue. Lucide, elle exprime ce désir avec une profonde sincérité. Je ne peux que témoigner de cet acte de foi. Je ne peux que redire ce qu’elle m’a dit : merci. Curieux, ce sentiment d’être un passeur.
Je me permets juste d’ajouter ce que cette rencontre et cet Évangile m’inspirent. À la fin, Jésus dit au paralytique « lève-toi, prends ton brancard et rentre dans ta maison ».
Aujourd’hui Karolina a pris son brancard, sa maladie, elle s’est levée, en rendant son dernier souffle le 26 décembre à 18h51, elle est rentrée dans sa maison : la maison du Père, ce Paradis multicolore où elle est convaincue qu’on se retrouvera dans un feu d’artifice.
(*) Cancer du système nerveux.
Psaume de Karolina
J’attends de l’Espoir qu’il soit toujours là,
Je le trouve dans ceux que j’aime, et qui me soutiennent,
Parfois et toi Dieu.
Quand je doute, fais que je continue à croire en la Vie, source d’espérance.
Mais parfois, Dieu, tu es à côté complètement à côté.
Je te trouve alors chez l’autre,
Et de temps en temps, encore chez moi.
Quand je prie, tu m’écoutes,
Mais parfois tu ne m’aides pas ou pas comme je voudrais.
Toi qui as tout créé,
Pourquoi la souffrance ?
Pourquoi des jeunes meurent sans avoir vécu toute leur vie ?
Qui décide de notre fil de Vie ?
Nous sommes nés pour vivre et nous vivons pour mourir ?
Quel sens tout cela ?
Quand je souffre
Soit je pleure un moment, soit je rigole, soit je déconne, cela me fait du bien,
Je me sens mieux après.
Mais au fond de mon âme, malgré tourte cette souffrance qui m’entoure
Je sais qu’on va se retrouver avec tous ceux qu’on aime, dans un paradis multicolore,
Qui épouse toutes les couleurs de l’arc en ciel,
De la dépression à l’espérance,
En passant par la joie, la fête et le feu d’artifice !
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