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« Ma place est ici »

Petra Duelen est infirmière dans la maison de repos Sainte-Monique à Bruxelles. Elle nous fait part de son expérience, notamment durant ces temps difficiles.



Bonjour Petra. S’occuper des aînés, est-ce une vocation, ou bien arrive-t-on ici par hasard ?


Le hasard existe-t-il ? En fait, au départ, j’ai une formation en sciences religieuses à Leuven. Ces études m’ont bien intéressée. Durant celles-ci, j’ai fait des stages d’enseignement de la religion, mais je ne me sentais pas à l’aise. Je me suis alors formée en pastorale hospitalière, mais j’étais trop jeune pour être engagée dans ce domaine. On ne comprenait pas qu’une jeune femme de 22 ans puisse envisager de travailler dans cette pastorale, et moi-même, devant des situations de grande détresse, je ne savais vraiment pas quoi faire pour aider. Lors de contacts avec les infirmières, j’ai pensé pour la première fois que si j’étais infirmière, j’avais là une porte d’entrée pour éventuellement aborder autre chose. En attendant d’avoir l’âge pour m’engager dans cette voie, j’ai alors entrepris des études de gestion hospitalière, puis encore une année d’anthropologie en tant qu’étudiante libre, ce qui me permettait d’accéder à des jobs d’étudiants. Un jour, j’ai appris que cette maison Sainte-Monique cherchait des étudiants pour assurer un travail durant les vacances. À une amie médecin qui cherchait aussi sa voie, j’ai proposé de nous engager dans ce travail. Et dès que je suis entrée ici, j’ai senti que ma place était là. Je me suis sentie tout de suite à l’aise avec les personnes âgées. J’ai été engagée et j’ai très vite eu la conviction que je devais me former comme infirmière, ce que j’ai fait tout en continuant les services dans cette maison comme aide-soignante. Ma vie a alors changé, du fait de cette stabilité que j’avais trouvée. J’étais plus sûre de moi. Il y avait l’esprit de famille de cette maison et j’appréciais le fait de collaborer à sa construction en cherchant à donner aux résidents le sentiment de se sentir ‘à la maison’, chez eux.


Les gens qui arrivent dans cette maison y viennent pour les derniers moments de leur vie. N’est-ce pas décourageant de savoir cela ? Le contact avec des enfants, par exemple, est source de vitalité. La vie ne cherche qu’à se déployer. Mais avec des personnes âgées ? La vie est en train de s’éteindre…


Je ne le vois pas ainsi. D’ailleurs, je suis encore plus intéressée par les soins palliatifs. Car la fin, la mort et ce qui l’entoure, c’est un moment très fort de vie, car il y a une transformation en vue vers quelque chose de plus beau encore. La vie s’intensifie à ce moment-là. Je ne suis pas désespérée quand quelqu’un meurt. Je crois que le lien reste.


C’est une vision de foi ?


La foi aide, bien sûr. Nous avons vécu de très beaux moments, même incroyables. Encore récemment, le dernier décès est celui d’un prêtre. Il était ici depuis dix ans et nous nous connaissions bien, même si, à la fin, il perdait la tête. Je lui avais promis à maintes reprises que je serais là lorsqu’il partirait. Nous étions quatre à l’entourer au moment ultime. Et il y avait une paix qui descendait dans cette chambre. C’était incroyable. Tout le monde l’a senti, même le médecin qui avait été appelé et qui n’était jamais venu dans la maison, a remarqué la même chose : que se passe-t-il ici ?


La situation actuelle est très éprouvante. Des maisons de repos ont vécu de véritables drames. Comment avez-vous vécu la crise ici ?


Avant tout, je voudrais dire combien le fait de se trouver dans une bonne équipe est très important. Nous pouvons nous soutenir et compter les uns sur les autres. Par rapport à la pandémie, nous gérons beaucoup mieux la deuxième vague. Lors de la première, nous n’étions pas préparés. A ce moment-là, la maladie nous paraissait effrayante si bien que nous avions très peur. Peur de perdre nos résidents. Nous nous disions : un tiers des résidents vont mourir et nous, personnel soignant, si nous tombons malades, qui va s’occuper d’eux ? Heureusement, cela s’est relativement bien passé. Nous n’avons pas eu de surmortalité. Maintenant, nous maîtrisons mieux les choses.


Comment réagissent les résidents ?


Les résidents n’ont pas aussi peur que cela. Ils sont dans les derniers moments de leur vie. Ce n’est pas comme s’ils avaient encore dix ou vingt ans à vivre. Ce qui est dur pour eux, c’est la longueur du confinement, les restrictions imposées, le fait de devoir rester les uns avec les autres, ce qui est cause davantage de frictions. Le confinement strict en chambre n’a été que de courte durée. C’était trop dur. Donc on a permis plus de liberté, la promenade au jardin, par exemple. Et puis on a permis d’aller à nouveau à la chapelle, mais dans certaines limites. La messe a pu reprendre chaque jour après le premier confinement. Il a fallu aussi se réorganiser dans les relations avec les familles de manière à maintenir la possibilité de communiquer. Au début c’était via les moyens numériques de communication. Par la suite, les visites ont été autorisées mais avec des conditions difficiles à accepter : garder le masque, éviter les contacts physiques, horaire fixe.


Cette organisation a demandé un important surcroît de travail pour le personnel et une grande dépense d’énergie. Heureusement, nous avons reçu l’aide de bénévoles, d’anciennes collègues, et beaucoup de soutien de l’extérieur : des gens qui nous fabriquaient des masques, les enfants qui nous faisaient des dessins, des poèmes. Beaucoup, beaucoup de solidarité !


On a aussi mis en route un projet qui permet une plus grande participation des collaborateurs et des résidents à la vie de la maison, car si les résidents ont une participation maximale, ils sont plus heureux, ils sont plus impliqués. La maison Sainte-Monique donne beaucoup de liberté aux résidents et aux visiteurs ; des fêtes sont organisées, la cafeteria accueille beaucoup de monde. Et avec le confinement tout cela a dû être abandonné, ce qui a été plus dur encore.


Comment la Parole de Dieu vous inspire-t-elle ?


Lors de son baptême, Jésus s’entend dire : « Tu es mon Fils bien-aimé ». C’est une parole que je prends pour moi aussi. Ce qui me parle beaucoup aussi, c’est la communion des saints. Chaque matin, j’ai l’occasion de m’arrêter un instant à la chapelle et je dis au Seigneur : « Merci d’être avec nous ». Et je me relie avec tous ceux qui sont partis et aussi à d’autres personnes qui travaillent ailleurs. J’aime cette communion. Alors je vais dans les chambres et j’essaie d’avoir une vraie présence, de prendre le temps avec les résidents, pas seulement un temps compté, mais un temps habité.

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