Mission qui unit : aux origines du mouvement œcuménique moderne
Dernière mise à jour : 26 nov. 2022
Dans les cinq dernières décennies, bien des progrès ont été réalisés dans le rapprochement entre l’Eglise Catholique et les autres Eglises, ce dont témoignent de nombreux accords bilatéraux et multilatéraux (http://www.christianunity.va/content/unitacristiani/fr/dialoghi/sezione-occidentale.html). Mais bien avant que l’Eglise Catholique n'entre pleinement dans le mouvement œcuménique avec le Concile Vatican II dans les années 1960, nos frères protestants avaient déjà fait de grands pas pour créer ce qui deviendra le mouvement œcuménique moderne. Une des dynamiques principales favorisant ce développement fut la mission commune.

L’origine de l’Église de l’Inde du Sud en est un bel exemple. Si la tradition de l’Apôtre Thomas témoigne de la présence chrétienne dans ces régions à partir du 1er siècle, elle reste très minoritaire. C’est surtout à partir du XVIe siècle que les missions en Inde commencent à se développer avec l’arrivée des Jésuites. La progression de cette mission est cependant lente et difficile. Au XVIIIe siècle les Missions Étrangères de Paris envoient des prêtres pour remplacer les jésuites. Un de ces missionnaires, Jean-Antoine Dubois, au tournant du XIXe siècle décrit les difficultés dans le progrès de l’évangélisation de ces peuples. Son regard est assez pessimiste puisque pour lui « il n’était pas possible, humainement parlant, de faire de vrais convertis au christianisme parmi les indigènes de l’Inde ». Les causes en étant des préjugés régnant à l'encontre du christianisme, dus au contrôle des Brahmanes sur l'esprit hindou, et la rigidité du système des castes. De plus, Dubois croyait que les hindous devenus chrétiens n'étaient pas de vrais convertis. Ils s'accrochaient aux vieilles superstitions et usages, ne pratiquaient ni l'égalité ni la charité, et n'étaient pas restés fidèles dans l'adversité. Beaucoup étaient devenus chrétiens pour les avantages matériels que cela leur procurait.

Les missionnaires protestants étaient en général plus optimistes, même s’ils rencontraient
généralement des obstacles similaires. Les différentes missions protestantes ont commencé
à s’établir dans le pays à partir du XVIIIe siècle. D’abord les luthériens au début, ensuite l'Église anglicane, grâce au travail de la "Société Missionnaire de l’Eglise" et de la "Société pour la Propagation de l’Evangile". D’autres Eglises et missions ecclésiales ont vite suivi : l’Eglise Presbytérienne par la Mission de l’Eglise d’Ecosse, l’Eglise Réformée des Pays-Bas aux États-Unis, la Mission de Basel, la "Société Missionnaire Méthodiste" et la "Société Missionnaire Baptiste", ainsi que des groupes qui travaillaient pour la diffusion de la Bible.
Ces missionnaires se sont engagés, dans l’évangélisation de base en établissant des paroisses dans les villages, dans le domaine de l’éducation en permettant à de nombreux jeunes d’accéder aux fondamentaux de l’éducation humaine et chrétienne, ainsi que dans le domaine de la santé en fondant des hôpitaux. Un des principaux outils pour annoncer la Bonne Nouvelle était l’Ecriture qu’ils voulaient rendre accessible au plus grand nombre. D’où les traductions de la Bible dans les langues vernaculaires avec une attention particulière au langage pour qu’il soit simple et compréhensible pour tous.

Mais plus les missions avançaient et se développaient plus il devenait clair que ces chrétiens avaient apporté sur cette terre de mission non seulement leur amour du Seigneur et leur zèle apostolique, mais aussi leurs divisions. Le modèle ecclésial européen avec ses séparations entre les différentes confessions chrétiennes commençait à être transposé en Inde au détriment d’un véritable témoignage évangélique. La loyauté confessionnelle était un obstacle à une évangélisation réussie, et la compétition sur le terrain de la mission agrandissait les divisions. Les nouveaux convertis étaient confrontés non seulement à la stigmatisation de la part de leur propre culture, mais aussi à l’incompréhension face à un éventail de christianismes qui bien souvent traitaient les autres comme des religions différentes.
Cette tendance à la séparation est, bien sûr, aussi ancienne que le christianisme lui-même. « Puisqu’il y a entre vous des jalousies et des rivalités, n’êtes-vous pas toujours des êtres charnels, et n’avez-vous pas une conduite tout humaine ? Quand l’un de vous dit : « Moi, j’appartiens à Paul », et un autre : « Moi, j’appartiens à Apollos », n’est-ce pas une façon d’agir tout humaine ? » (1 Co 3, 3-4). Voilà ce que déjà l’apôtre Paul écrivait à la toute jeune communauté de Corinthe au milieu du 1er siècle. Il les a appelés à garder l’unité, et ces rappels seront nécessaires aux chrétiens tout au long de l’histoire de l’Eglise. En disant : « Moi, j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais c’est Dieu qui donnait la croissance », Paul rappelle où se trouve le cœur de la foi chrétienne et veille à ce que s’accomplisse la prière du Seigneur : « Père, que tous soient un… afin que le monde croie » (Jn 17, 21).
A partir du début du XIXe siècle, les missionnaires se sont rendu compte de plus en plus que la stricte fidélité à leurs diverses traditions ecclésiales était moins nécessaire dans le domaine missionnaire, et que la coopération était indispensable. Les missionnaires protestants découvraient que bien souvent ils avaient plus en commun avec d'autres missionnaires qu'avec des membres de leur propre Eglise en Occident. Un sentiment général se répandait que la loyauté confessionnelle était secondaire par rapport à l'unité dans le Christ. Les missionnaires sur le terrain avaient besoin les uns des autres pour se soutenir mutuellement, pour partager des idées nouvelles et des choses plus concrètes comme les médicaments. Les initiatives éducatives se sont aussi avérées beaucoup plus efficaces lorsque d'autres confessions étaient incluses. L'œcuménisme avait commencé !

De nombreuses initiatives et nouvelles fondations au cours du XIXe siècle ont contribué à rapprocher les Eglises en Inde. La fondation de la Société de la Littérature Chrétienne (1858), de la Convention de l’Engagement Chrétien (1881), de la Union Chrétienne de Jeunes Gens (YMCA, 1890), du Mouvement des Etudiants Volontaires de l’Inde et de Ceylan (1896), de la Société Missionnaire Indienne (1903), et de la Société Missionnaire Nationale (1904) était d'une grande importance, car ces organisations et mouvements ont joué un rôle déterminant dans le rassemblement des dirigeants d'Eglises européennes et indiennes de différentes confessions sur une plate-forme commune et pour une cause commune. Des événements sur d’autres continents ont aussi favorisé le déploiement de ce nouvel esprit œcuménique. Notamment la fondation de l’Alliance Evangélique, en 1846, à Londres, qui cherchait à rassembler des fidèles de différentes Eglises évangéliques pour un partage fraternel et un travail missionnaire commun. Et surtout la Conférence Missionnaire Mondiale d’Edimbourg en 1910, qui est souvent vue comme le point culminant des missions protestantes du XIXe siècle et le début formel du mouvement œcuménique protestant moderne.

En Inde, le rapprochement et la collaboration entre les différentes Eglises ont fortement contribué au succès des missions. Si, pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, le nombre de fidèles catholiques a doublé, le nombre des protestants a été multiplié par huit !
À partir du début du XXe siècle, la conscience du scandale des divisions atteint un point culminant et des projets concrets ont commencé à être mis en place pour préparer une unification des Eglises. Le témoignage des chrétiens ne sera jamais entièrement crédible s’ils ne vivent pas dans une unité visible. Il y a eu d’abord l’union de certaines Eglises presbytériennes et réformées (1901), ainsi que l’union des Eglises congrégationalistes (1904), qui toutes se sont unies pour former l’Eglise Unie de l’Inde du Sud (1908). Mais, pour pouvoir s’unir plus largement avec les autres Eglises protestantes, il y avait un obstacle majeur à surmonter – les différences doctrinales. Même si elles pouvaient bien collaborer au plan missionnaire, les Eglises avait des différences importantes en ce qui concerne la pratique de leur foi, la liturgie, la structure de l’Eglise, les ministères.
Le travail sur ces questions a duré des décennies, pour aboutir à un consensus : l'union serait possible moyennant un accord sur quatre principes (élaborés par la Conférence de Lambeth, de la Communion Anglicane, en 1886) :
- l'Écriture sainte, qui renferme tout ce qui est nécessaire au salut et forme le recours ultime en matière de foi ;
- le symbole de Nicée-Constantinople, et le symbole des apôtres, qui en constituent des exposés suffisants ;
- les sacrements institués par le Christ lui-même : baptême et eucharistie ;
- le ministère ordonné avec l'épiscopat historique.
Les trois premiers principes pouvaient être acceptés sans grande difficulté. Mais le quatrième est devenu problématique puisque seule l’Église anglicane avait l'épiscopat historique et les ministres ordonnés par l'imposition des mains de l’évêque. Les autres Églises concernées par les négociations n'avaient pas de ministère ordonné. Finalement, un accord a été trouvé et elles ont conclu que, dans la mesure où Dieu avait béni tous les ministères avec un même respect, tous ceux qui étaient déjà ministres dans l'une des Églises qui s'unissaient, seraient reçus comme ministres dans l'Église Unie et que toutes les nouvelles ordinations seraient faites par l’imposition des mains de l’évêque.
L’Eglise de l’Inde du Sud (EIS) a été inaugurée le 27 septembre 1947. Cet évènement a été salué par les Eglises du monde entier comme l'aube d'une époque unique dans l'histoire de l'Église. On espérait que l'union de la l’EIS deviendrait « un instrument plus efficace pour l'œuvre de Dieu », qu'il y aurait « une plus grande paix, une fraternité plus étroite et une vie plus épanouie au sein de l'Église », que l’EIS serait « un véritable levain d'unité dans la vie de l'Inde et qu'à travers elle », il y aurait « une plus grande libération de la puissance divine pour l'accomplissement du dessein de Dieu pour son monde ».
